Bienvenue à l’Île Égalité !
Lieu de solidarités autogéré du quartier de Cusset à Villeurbanne.
Au printemps 2020, le Collectif Solidarités Cusset s’est réuni pour la première fois dans un contexte de crise sanitaire, économique et sociale intense. C’était le premier confinement, et des « brigades de solidarité » fleurissaient de partout. Comme d’autres ailleurs, nous, habitant·es de Cusset mais pas seulement, ami·es, voisin·es, collègues ou camarades, avons voulu nous organiser par nous-mêmes, à l’échelle d’un quartier, pour tenter de répondre par les moyens de la solidarité et de l’autogestion à la crise qui fragilisait des pans entiers de la population. À l’époque hébergé·es par le Centre social puis par la Maison de quartier de Cusset, nous avons commencé à nous réunir régulièrement, et à organiser des distributions gratuites de nourriture et de produits de première nécessité, deux fois par semaine, pour les gens du quartier.
Puis le confinement s’est terminé et les lieux qui nous hébergeaient ont repris leurs activités. On s’est retrouvé·es sans local, mais avec une forte envie de continuer. En novembre 2020, nous nous sommes installé·es dans un bâtiment abandonné de la rue de l’Égalité. Squatter, c’est un moyen de reprendre un lieu aux logiques marchandes du profit et de la spéculation immobilière.
Le lieu, anciennement connu comme « La Sandale du Pèlerin » a été laissé à l’abandon par son propriétaire, la Fondation Richard, durant 6 ans. S’approprier ce bâtiment vide alors que tant de personnes n’ont pas de quoi se loger dignement a permis à des personnes précaires de trouver un toit : une dizaine de personnes se sont installées à l’étage dès l’ouverture. Rappelons que les services de la Métropole estiment à 84 266 le nombre d’habitations inoccupées au début de l’année 2020 ! Et qu’au niveau de Lyon, ce serait 9% du parc immobilier qui serait inexploité, soit environ 30 000 logements, alors qu’on recense plus de 10 000 personnes à la rue.
Grâce à l’île, nous avons aussi pu prolonger dans la durée les liens de solidarité que nous avions commencé à tisser avec des personnes du quartier. Nous avons pu mettre en place des activités de solidarité, nous auto-organiser et soutenir les luttes qui nous tiennent à cœur. En nous inscrivant à l’échelle du quartier de Cusset, nous souhaitons ancrer des formes de résistance collective à la précarisation de nos vies et à la violence du système néo-libéral sur un territoire qui a une histoire sociale forte, marquée par des luttes ouvrières, des immigrations plurielles et une histoire du socialisme municipal.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Après une bataille juridique et médiatique de plusieurs mois, la mairie de Villeurbanne a fini par racheter le bâtiment à l’ancien propriétaire qui demandait notre expulsion. Aujourd’hui, nous sommes en cours de négociations avec elle, pour fixer les termes d’un « conventionnement ». Si cette situation nous permet de nous projeter à plus long terme, nous restons vigilant·es face aux dynamiques que peut induire cette forme de légalisation. Nous souhaitons à tout prix demeurer une base arrière et des allié·es pour d’autres squats à la situation plus précaire, et de manière générale pour d’autres luttes.
Pendant ces mois d’incertitudes, nous avons continué d’organiser des cantines solidaires, des évènements de soutien à différentes luttes, des distributions de nourriture et de produits de première nécessité, une laverie en accès libre, une bibliothèque, des cours de français-langue-étrangère, des permanences d’entraide administrative, des ateliers artistiques, sportifs, du bricolage et du jardinage, des fêtes, des projections de matchs et de documentaires… Enfants, adultes, voisin·es, curieux·ses, étudiant·es, travailleur·euses, chômeur·euses, parents d’élèves, personnes exilé·es, personnes sans-papiers, membres d’associations, de collectifs, de syndicats, et plein d’autres personnes encore, sont venu·es chaque jour à l’Île Égalité, s’y sont rencontré·es, et l’ont faite vivre.
Que l’on se revendique d’une étiquette politique ou non, nous sommes relié·es par la manière dont nous faisons vivre l’île égalité. Nous nous retrouvons autour de l’envie commune de construire des alternatives convaincantes et désirables au modèle capitaliste actuel. L’île égalité est un des moyens de mettre en pratique cette envie, et d’en expérimenter les formes. En faisant de l’Île un espace ouvert, accessible, utilisable par de nombreuses personnes et de nombreux collectifs. En essayant de nous organiser de manière horizontale, sans chef·fes, sans spécialistes, sans hiérarchie, et sans barrières entre organisateur·ices et « bénéficiaires » des activités, « public » et membres du collectif, « aidant·es » et « aidé·es ». Nous souhaitons donner la possibilité à toutes et tous de se sentir les bienvenues. Que chacun.e puisse se sentir libre de disposer du lieu pour mettre en place des activités, des discussions, des événements, ou bien simplement pour discuter ou y passer un moment convivial.
Il nous paraît d’autant plus important aujourd’hui de concentrer nos réflexions et nos actions autour des besoins spécifiques du quartier, avec et pour celles et ceux qui y habitent. Cela est et restera notre horizon politique : ensemble, faire vivre des espaces d’émancipation collective qui ne reposent pas sur la charité, mais bien sur l’auto-gestion, la libre association et l’entraide. Nous tentons aussi à notre échelle de sortir des logiques de la consommation et de l’économie de marché, pour inventer des rapports et des sociabilités qui soient exempts de rapports de pouvoir et de domination. C’est pour cela que nous voulons chasser de nos rapports tous les comportements et les propos stigmatisant les personnes en raison de leur couleur de peau, de leur origine, de leur classe sociale, de leur genre, de leur orientation sexuelle, de leur handicap, de leur croyances religieuses… et toutes les formes de discrimination. Nous pensons que ces dominations et ces oppressions sont toutes liées, et que nous devons les combattre ensemble.
Nous souhaitons aussi pouvoir servir d’allié·es à des luttes qui s’organisent très bien sans nous, mais auxquelles nous pouvons apporter un soutien matériel grâce au confort et aux outils qu’un lieu pérenne nous apporte. Nous pensons notamment, sans hiérarchie : aux luttes antiracistes et décoloniales ; féministes, queer et LGBTQIA+ ; aux luttes anti-impérialistes ; pour les droits des travailleur·euses, des chômeur·euses, et aussi pour celleux qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas travailler ; aux luttes pour une écologie radicale et anticapitaliste ; pour la régularisation de tous·tes les sans-papiers, pour l’ouverture des frontières et pour la liberté de circulation de tous·tes ; aux mobilisations contre le mal-logement ; pour les droits et la reconnaissance des personnes en situation de handicap, et neuro-atypiques. Nous pensons aussi aux luttes antifascistes, contre les violences de l’extrême droite, et contre toutes les formes de répression. Contre l’islamophobie, que l’État n’a de cesse d’alimenter par des mesures toujours plus répressives. Contre les violences policières, les prisons, les centres de rétention administrative, et tous les lieux d’enfermement… bref, nous soutiendrons toutes les luttes qui s’érigent contre les systèmes de domination et d’oppression existants.
C’est dans cette perspective que nous avons soutenu les luttes suivantes, et qu’on continuera à le faire :
- soutien matériel à diverses luttes, grèves, actions : livreurs et livreuses Deliveroo, grévistes de Général Electric, camarades interpelé·es, collectif de lutte palestinien, collectif Lyon anti-cra, résidence de la revue Z, cantine pour l’association Idir espoir et solidarité, accueil du Collectif des Sans Papiers, présentation du journal anticarcéral l’Envolée, de la revue Panthère Première, cantine du réseau des activistes soudanais … et bien d’autres à venir.
- accueil de collectifs pour rencontres, résidences, actions, réunions, urgence habitation
- discussions, projections, débats sur la taule, le nucléaire, le (mal)logement…
Tout ça, bien sûr, n’est qu’un horizon. Nous savons bien qu’il ne suffit pas de se revendiquer allié·e de telle ou telle cause pour le devenir réellement, et que les agressions et discriminations en tout genre ne disparaissent pas comme par magie simplement parce qu’on le déclare. Tout ça est amené à être questionné, débattu, critiqué, remis en question, en partant de nos vécus, de nos expériences et de nos envies. On n’est pas des professionnel·les, ni de la plomberie, ni de la politique On essaie de ne pas être dogmatiques. On tâtonne, on réfléchit beaucoup, on s’est trompé·es parfois et ça arrivera encore. On revendique ce droit à l’erreur, à évoluer, changer, recommencer. Participer à l’aventure de l’Île, c’est surtout un apprentissage pour nous-tous·tes.
Bref : l’Île Égalité peut être un formidable outil de lutte et d’émancipation collective, un lieu-ressource, un refuge, un laboratoire pour nos idées, une base arrière pour pleins de batailles, un endroit chaleureux où se retrouver, et plein de choses encore.
À nous, à vous, de le décider !
Alors à bientôt sur l’Île, et longue vie à toutes les Îles Égalité.